A peine débarrassée de la réputation sulfureuse qui accompagna ses débuts, l’intelligence économique peut-elle associer sa pratique à celle des " réseaux humains " sans risquer de retomber dans l’accusation d’espionnage des origines ? Il faut reconnaître que la notion de " réseau " associée à celle de " renseignement " ne laisse pas beaucoup de place à une pratique professionnelle exempte de suspicion.
L’originalité des services de renseignement de la France Libre, pendant la dernière guerre mondiale, fut de structurer ses réseaux non pas sur des professionnels du renseignement, mais sur les professionnels des secteurs d’activité intéressant le renseignement. Un des premiers agents du célèbre Colonel Rémy fut un pilote du port de la Palice, qui mit en place un réseau de surveillance des mouvements des navires allemands dans l’estuaire de la Gironde. On se souvient, bien sûr, des réseaux constitués de cheminots immortalisés par le film " La bataille du rail ". Cette structure avait déjà été expérimentée entre les deux guerres mondiales par le Komintern, réseau soviétique mondial au service de la révolution communiste. Elle perdurera avec, en particulier, le célèbre réseau de physiciens américains qui communiqua à Staline les secrets de la bombe atomique. Dans les deux cas, le réseau, constitué d’experts d’un secteur professionnel spécifique, est mis au service d’une cause pour lui procurer, au moyen d’actes d’espionnage caractérisés, des informations secrètes. L’intelligence économique, qui organise pour l’entreprise la recherche et l’analyse des informations utiles à la maîtrise de son environnement concurrentiel, peut-elle se réclamer de cet héritage ? Oui et non. Peut-on encore parler dans ce cas de réseau ? Il faut reconnaître que l’explosion des technologies de l’information a établi une certaine confusion entre les termes. Le " réseau mondial " désigne internet. La " mise en réseau " d’ordinateurs distants a " virtualisé " les réseaux d’acteurs en même temps qu’elle a dématérialisé l’information. Elle oblige aussi à repenser le réseau sous l’angle technique et humain. Un groupe informel de dirigeants ne constitue pas plus un réseau qu’une association d’anciens d’une école de commerce. Mais les apports de la technique (liste de diffusion, portail d’information, intranet collaboratif...) et les méthodes de " travail en réseau " (fonction de modérateur, règles d’échanges et de réciprocité, partage de connaissances et retour d’expériences...) permettent de faire émerger le réseau humain comme une pièce maîtresse du dispositif d’intelligence économique de l’entreprise. Ce bref panorama ne serait pas complet s’il ne faisait pas sa place au " réseau d’experts ", dont la valeur ajoutée se trouve dans l’analyse collective de l’information recueillie, et non plus dans la collecte de l’information elle-même. La pratique des réseaux en intelligence économique est donc bien éloignée de son lointain parent, le réseau d’espionnage. Plus riche et diversifiée par les sources sollicitées, les modes opératoires et l’organisation qui en découle, le réseau humain est peut-être l’arme décisive des entreprises au service de la compétitivité.
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